Publié le mercredi 1 août 2018

Gerda Taro : la photographe de guerre oubliée

Plus que l’amante de Robert Capa, Gerda Taro était surtout une photographe de talent. Elle est d’ailleurs la première femme photoreporter de guerre tuée à 26 ans dans l’exercice de ses fonctions. Retour sur son parcours écourté mais engagé.

Derrière chaque grand homme se cache une femme. Voici une nouvelle occasion de vérifier ce vieil adage. Robert Capa, considéré comme l’un des plus grands photographes de guerre, doit en grande partie sa célébrité — et notamment son nom — à une femme : Gerda Taro, pseudonyme de Gerta Pohorylle. Peu connue encore aujourd’hui, la jeune reporter est pourtant la première femme photographe tuée dans l’exercice de ses fonctions pendant la guerre d’Espagne, alors qu’elle n’a que 26 ans.

Une femme engagée et anticonformiste

Issue d’une famille modeste de commerçants juifs, Gerda Taro est née le 1er août 1910 à Stuttgart. Recevant une éducation artistique, elle développe rapidement des intuitions révolutionnaires. Tout dans son apparence à la garçonne avec cravate et souliers cirés (taille 35) et son mode de vie (elle ne se mariera pas mais aura des compagnons dont Robert Capa) porte en elle le désir de s’affirmer et de s’engager pour des idées. La jeune femme est d’ailleurs arrêtée et détenue en 1933 pour avoir distribuée de la propagande contre le nazisme. A l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les membres de sa famille sont contraints d’émigrer dans différents pays et elle ne les reverra plus.

Gerda Taro s’exile alors à Paris avec son amie Ruth Cerf. Exerçant quelques travaux de secrétariat, la jeune Allemande côtoie surtout les cafés de Montparnasse, lieu de rencontres des artistes et des intellectuels. Elle fréquente ainsi des groupes révolutionnaires comme le groupe Leipziger Kreis auquel participent les membres du SAP (le parti socialiste ouvrier allemand) en exil (dont Willy Brandt) ou encore l’association des écrivains et artistes révolutionnaires. Fervente antifasciste et persuadée du pouvoir des images pour changer le monde, elle s’engagera en 1936 dans la guerre d’Espagne avec pour seule arme sont appareil photo.

La naissance de Robert Capa et Gerda Taro

Gerda Tarot Robert Capa

Gerda Taro et son compagnon Robert Capa.

Sa passion pour l’image et plus particulièrement pour la photographie se développe avec sa rencontre avec le photographe Endre Ernö Friedmann, juif hongrois aussi exilé à Paris. Elle devient son assistante au sein de l’agence Alliance-Photo en 1934 et apprendra à ses côtés les rudiments du métier. Partenaires amoureux et professionnels, leurs carrières sont intimement liées. Pour se faire connaître, la jeune femme décide d’élaborer un subterfuge pour faire oublier leurs noms juifs en s’inventant une nouvelle identité plus adaptée au marché.

C’est ainsi qu’Endre Ernö Friedmann endosse l’identité d’un photographe américain, chic, riche et mondain. Il sera désormais connu sous le pseudonyme Robert Capa, en référence à l’acteur américain en vogue Robert Taylor et à sa ressemblance avec le réalisateur Frank Capra. A moins que son nom tire son origine du mot hongrois « capà » signifiant « requin ». De son côté, Gerta Pohorylle se fera appeler désormais Gerda Taro (en référence à l’artiste japonais Taro Okamoto et à l’actrice suédoise Greta Garbo). Flanquée de son nouveau nom, elle fait la promotion avec talent des clichés de son compagnon auprès des journaux.

L’émancipation de la jeune photographe

photographe de guerre Greda Taro

Des hommes travaillant dans une fabrique d’armes à Madrid, Juin 1937 Gerda Taro et Robert Capa © International Center of Photography

Le couple fusionnel partage tout, même les clichés, ce qui expliquera en partie l’oubli dans lequel est tombé la reporter. Dès le début de la guerre d’Espagne, en 1936, Taro et Capa suivent les combats des brigades internationales aux côtés des combattants républicains en tant que photographes de guerre. Bien qu’ils signent leurs œuvres de leurs deux noms, Robert Capa gagne rapidement une reconnaissance mondiale tandis que sa compagne reste dans l’ombre. Ils produiront ensemble une œuvre importante avec pas moins de 135 films sous l’étiquette Capa & Taro.

Au milieu de l’année 1937, Gerda décide de prendre un peu de distance pour aller au plus près de l’action, à l’instar de ses confrères masculins, couvrir les bombardements de Valence et signer son travail de son seul nom. Elle est cependant écrasée accidentellement par un char républicain alors qu’elle couvre la bataille de Brunette près de Madrid. Elle décède le lendemain de ses blessures en ne se souciant que de savoir si son appareil photo avait été récupéré.

La valise mexicaine au secours d’une mémoire oubliée

décès Greda Taro

La revue « Ce soir » annonce le décès de sa photographe de guerre.

La première femme photojournaliste à mourir dans l’exercice de ses fonctions fut enterrée le jour de son 27e anniversaire au cimetière du Père-Lachaise. Les funérailles suivies par des milliers de personnes se sont transformées en une manifestation antifasciste avec à sa tête Pablo Neruda et Louis Aragon qui prononcèrent son éloge funèbre. Cependant le nom de Greda Taro est vite tombé dans l’oubli pour ne rester dans la mémoire collective que comme la compagne de Robert Capa.

Il faut attendre 2007 pour que le travail professionnel de la photographe soit enfin reconnu grâce à la découverte de la « valise mexicaine », c’est-à-dire trois boites assemblées contentant près de 4 500 négatifs de photographies de la guerre civile espagnole prises par Robert Capa, Gerda Taro et David Seymour. L’analyse des clichés a permis de reconsidérer l’ampleur de son travail réalisé et de différencier son style avec une composition travaillée et le sens du détail de celui de son compagnon davantage soucieux d’être dans le mouvement.

Mélodie Moulin