Publié le jeudi 24 novembre 2016

« Les Français détestent les journalistes », Redwane Telha

A seulement 23 ans, Redwane Telha est journaliste pour France Inter dans l’émission L’instant M. Diplômé d’une école de journalisme (IEJ Paris) en 2015 dont il sort major de promo, il a également participé à la création de Touche pas à mon poste sur D8 aux côtés de Cyril Hanouna. Il a publié son premier livre, Réussir, la détermination de Timothée Adolphe, sprinter, en mai dernier. Retour sur le parcours d’un jeune journaliste prometteur et sur sa vision du métier.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir journaliste ?

Redwane Telha. Certains ont des passions comme le foot. Moi, petit, c’était la télévision et son aspect show. Je suis un enfant de la TV. Je me suis construit avec George Eddy et Guillaume Durand. J’étais fou, hypnotisé par les émissions. Après, ce fut au tour de l’écriture. J’écrivais des petites histoires un peu chelou (sic). Une professeure de français m’a poussé dans ce sens au collège. Quel métier pourrait combiner la télévision et l’écriture ? La réponse était le journalisme. Au lycée, je voulais travailler pour Le Grand Journal. J’adorais la manière dont Michel Denisot prenait de la distance avec les sujets et surtout j’étais fasciné par la brève. Comment dire l’essentiel en seulement quelques mots…

Vous vouliez entrer à l’école de journalisme de Sciences Po. Pourquoi avoir changé d’avis ?

R.T. Cette école m’impressionnait mais quand je suis allé la visiter je ne comprenais rien à ce qu’on me racontait. Je me suis dit : « c’est bien mais quand est-ce qu’on va pratiquer ? » En visitant d’autres écoles, j’ai eu un coup de cœur pour l’IEJ. C’était le bordel ! Et pourtant j’ai senti que les étudiants faisaient des choses concrètes. Ça, ça me correspondait plus. J’ai aussi été bluffé par Magali Bonavia, la directrice, qui considère tous les membres de l’école comme sa famille.

Comment se sont passées vos premières années de formation ?

R.T. La première difficulté que j’ai rencontrée fut le coût de la scolarité. J’ai eu la chance d’être inscrit à l’école relativement tôt (au début de ma Terminale) ce qui m’a permis d’anticiper en faisant des petits boulots. En première année, j’avais un emploi du temps très chargé. Le matin, je distribuais des journaux et l’après-midi, j’étais en cours et le soir, je bossais dans des call centers.

Vous avez fait de nombreux stages en radio. Pourquoi choisir ce média alors que vous vouliez faire de la télévision ?

R.T. J’étais curieux de découvrir la radio car c’était pour moi un mystère. Je connaissais la télévision, j’avais une assez bonne idée de la presse écrite mais la radio symbolisait le média de mon père, qui l’écoutait dans la voiture.

« Personne n’a fait ses débuts à France Inter. Dans les petites structures, on a besoin de vous et vous toucherez à tout.« 

Gardez-vous de bons souvenirs de ces différentes expériences ?

R.T. Absolument ! Ce sont les stages qui forment le plus, surtout quand on est dans une petite structure car on a besoin de vous et on touche à tout. A 20 ans, j’ai pu interviewer Montebourg ! L’intérêt, contrairement aux exercices en cours, est que l’on est confronté à de vrais auditeurs. Cela met la pression. On peut se tromper, ce n’est pas grave, car nous ne sommes pas dans une grande radio. Personne n’a fait ses débuts à France Inter.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant vos stages ?

R.T. Clairement, les présidentielles à Beur FM. J’étais chargé de suivre le Front National (FN). J’ai travaillé avec de grands professionnels, j’ai suivi les meetings et j’ai dû me battre à la fin de chaque rencontre pour avoir la petite phrase qui va bien des politiques. Ça, c’est la vraie école ! La présidentielle, c’est un grand moment dans la vie d’un journaliste, et c’est pour ça qu’on fait ce métier.

A la fin de votre 2ème année d’études, vous rencontrez Cyril Hanouna qui vous propose un poste de conseiller pour les nouveaux programmes de D8. Que retenez-vous de cette aventure ?

R.T. Vous savez que j’adore la TV, alors c’était une belle opportunité ! Travailler pour la création d’une chaîne permet une liberté totale. On peut tout essayer. J’ai ainsi pu contribuer à la création de Touche pas à mon poste, soit un nouveau style d’émission qui prône le « parler vrai ». Je crois que les journalistes devraient s’inspirer de ça : il faut être soi-même et parler comme dans la vraie vie. C’est dommage que l’ambiance ait changé… Après un an, on m’a proposé un poste en production mais j’avais promis à Magali de revenir finir mes études. J’ai appris beaucoup de choses pendant cette année comme aller à la pêche aux scoops et parler aux bonnes personnes. Grâce à cette expérience, j’ai aussi gagné en maturité. J’ai eu un nouveau regard sur ma formation et ma 3ème année fut la meilleure. En plus de recevoir l’enseignement des professeurs, j’allais aussi le chercher

Vous travaillez désormais à France Inter. Comment avez-vous intégré la rédaction ?

R.T. J’ai rencontré Fabrice Laigle, réalisateur à France Inter, pendant les intensives radio (examens de fin d’année, ndlr) en fin de 3e année. Mon équipe et moi nous sommes complètement plantés pendant notre émission. Nous avions des bons angles pour nos papiers mais nous n’étions pas prêts et c’est parti en fou rire. Pourtant, ça a plu à Fabrice qui m’a fait entrer à France Inter. C’est comme ça que j’ai commencé en contrat pro pour l’émission l’instant M, où je travaille toujours.

Quel est votre rôle aujourd’hui dans cette émission ?

R.T. Je n’ai pas de statut particulier. Je me définirais plutôt comme un journaliste programmateur. Je choisis en collaboration avec Sonia Devillers, l’animatrice, les invités et je prépare les interviews. J’interviens régulièrement à l’antenne avec des chroniques sur les évolutions numériques, l’actualité de la télévision et les médias sociaux. L’émission démarre à 9h40. J’arrive vers 8h. Cela ne signifie pas qu’à partir de 10h la journée est finie. Il faut préparer les autres émissions. Je ne compte pas mes heures et quitte régulièrement le bureau vers 19h30.

« Être journaliste, c’est avoir envie de raconter le monde. C’est inné, on l’a ou on ne l’a pas.’

Votre premier livre Réussir, la détermination de Timothée Adolphe, sprinter est sorti en mai. Vous êtes fier ?

R.T. J’ai toujours voulu écrire des bouquins. Ce fut une sacrée expérience. J’ai voulu rédiger un portrait journalistique et non pas une biographie. J’ai adoré ! Je passais 3 à 4 heures par semaine pendant 5 mois avec Timothée Adolphe ; un athlète non-voyant, pour voir le déroulement des entraînements et recueillir des propos sur le handicap, la réussite couplée à une difficulté et le regard de la société face à ce phénomène. Je me suis inspiré de Tom Wolfe qui savait écrire long. J’ai voulu suivre les critères journalistiques en insérant des moments de vie et de dialogue. J’ai même respecté la règle de 40% de citations !

Qu’est-ce qui vous motive tous les jours ?

R.T. L’envie de raconter le monde. Ce truc, vous l’avez ou vous ne l’avez pas…

Qui sont vos modèles dans le monde du journalisme ?

R.T.  Sonia Devillers. Je travaille avec elle tous les jours. Quelle pro ! Il y a aussi Gay Talese, un journaliste américain qui a suivi près de 20 ans le patron d’un motel qui espionnait ses clients. Il s’est dit que son livre (Le Motel du Voyeur) serait beaucoup plus intéressant s’il l’écrivait après des années de rencontre. Le gérant a vu des choses incroyables comme un meurtre mais il n’a jamais osé témoigner tellement il avait honte de son voyeurisme. J’apprécie également énormément Jean-Jacques Bourdin. Il a créé un rendez-vous très fort avec une mise en scène du face-à-face très rapproché. Enfin, j’admire Nicolas Demorand qui a une culture folle. Je remarque que mes modèles sont des personnes qui s’intéressent à tous les sujets, sans mépris. Je suis par exemple effaré du traitement du vol de Kim Kadarshian. Sous prétexte qu’elle est une star, on a le droit de traiter le sujet de manière légère ? Le mépris, pour moi, c’est la mort de la profession.

« J’en ai marre du format traditionnel du JT… Il faut mettre de la distance avec les sujets.« 

Quelle est votre émission préférée ?

R.T. Le Quotidien de Yann Barthès. C’est dingue, tout est beau, tout est bon ! Sa démarche est d’être un vrai journaliste et de raconter les choses. Il y a des scoops (la révélation d’un document confidentiel du médecin prouvant la mort par asphyxie d’Adama Traoré), des interviews poussées comme celle du Dalaï Lama et des reportages dignes d’un JT. J’en ai marre du format conventionnel du JT… Il faut mettre de la distance avec les sujets. C’est ce que fait Yann Barthès et il est bon. Il n’y a rien à dire.

Comment voyez-vous le journalisme aujourd’hui ?

R.T. Il ne faut pas se voiler la face : le journalisme est la profession la plus détestée des Français. Les gens ne nous aiment pas, ils ne nous font pas confiance. Pour changer les choses, il faut arrêter de se cacher et de jouer au journaliste pour être enfin soi. C’est ce que fait Sonia Devillers. Quand elle n’aime pas quelque chose, elle le dit à la personne concernée, ce qui ne l’empêche pas de l’inviter. C’est ça le « parler vrai » mais c’est très rare… Arrêtons de croire que la subjectivité n’existe pas et assumons-la !

Que faut-il selon vous pour être un bon journaliste ?

R.T. Être passionné et avoir la capacité de transmettre des émotions. Soit on l’a, soit on ne l’a pas. Tout le reste, ça s’apprend. Ce n’est pas une question de curiosité car chacun s’intéresse plus ou moins à tout. Certains diront que c’est un métier de réseau. C’est vrai, mais le carnet d’adresses, tout le monde peut s’en créer un. En commençant mes études, je ne connaissais personne. J’ai commencé à me faire un réseau grâce à mon blog, j’avais près de 100 000 vues, j’étais content. L’école m’a aussi beaucoup aidé à étoffer mon carnet de contacts. Je ne serais pas là autrement.

Propos recueillis par Mélodie Moulin